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Corps, intimité et féminisme. À propos de l’approche un poil problématique mais toujours stimulante de Camille Froidevaux-Metterie

Fin 2020, le cvfe publiait une étude rédigée par sandre Roubin sur la thématique des seins nus, donc des inégalités de genre face à la nudité dans l’espace public.
 
 
Le retour de températures estivales est l’occasion de vous renvoyer vers l’étude en question
 
Mais aussi d’en extraire quelques passages issus de ma contribution à cette étude et de vous les partager. Ils portaient sur le travail de la philosophe Camille Froidevaux-Metterie.
 
Camille-Froidevaux-Metterie_Aglaé Bory
Celle-ci s’intéresse depuis une dizaine d’années à la thématique du « féminin » et aux luttes féministes, en se centrant sur le corps. Le corps comme lieu où s’expérimente la domination, mais aussi et surtout comme espace et moyen de résistance et d’émancipations.
 
 
Elle a successivement publié dans différentes maisons d’édition La révolution du féminin (2015), Le corps des femmes : la bataille de l’intime (2018), Seins : en quête d’une libération (2020) puis, il y a quelques mois, Un corps à soi.

Les réflexions de Camille F-M nous intéressent (…) surtout parce qu’en situant les luttes féministes portant sur les corps dans l’histoire récente des féminismes et en les rapportant à ce qu’elle nomme « processus de sexuation », elle nous permet de mieux saisir ce qui se joue actuellement.

Le corps au cœur du féminisme : une approche problématique et stimulante

En tant que philosophe, Camille F-M s’intéresse au regain d’intérêt pour les questions corporelles par les mouvements féministes. Elle parle notamment à ce propos « du » corps des femmes ou du « corps féminin » au sens d’un corps dont les caractéristiques notamment génitales[1] restent associées à ce que l’on nomme communément le « sexe féminin »[2]. Les anglosaxons parleraient probablement à ce propos de female body, comme dans les expressions FtoM (female to male) ou MtoF (male to female) utilisées pour désigner une transition de genre. Pour la chercheuse, chacun.e d’entre nous « éprouve dans [son] rapport à soi, aux autres et au monde une expérience singulière relative à la dimension sexuée de [son] existence » : c’est cette expérience très sensible qui doit être explorée.

Camille F-M se demande comment les femmes (qu’elles soient cis ou trans) vivent, comment elles expérimentent leur corps et les assignations qui y sont associées (faire des enfants, cacher les marques de l’âge, cacher et/ou mettre en valeur les seins, etc.). En ce sens, son approche philosophique des questions féministes s’inspire de la phénoménologie[3] féministe d’Iris Marion Young[4]. Le type de questionnement qu’elle encourage doit permettre d’aborder l’expérience corporelle sous l’angle de la domination (« repérer des expériences négatives dont il faudra élucider les facteurs sociaux ») mais aussi sous celui de l’émancipation (« mettre au jour des expériences où la capacité d’agir des sujets, bien que contrainte, se révèle créative » : quels choix, quelles réappropriations, quelles résistances peuvent se jouer via le corps ?)[5]. Comment fait-on avec le corps qui est le nôtre, ou plutôt avec le corps que nous sommes. Et comment faisons-nous pour nous transformer et pour transformer nos conditions concrètes d’existence via ce corps.

On le voit, son intérêt pour le corps et en particulier pour sa dimension génitale est donc bien différent, en dépit des apparences, d’un essentialisme[6] qui présenterait nos caractéristiques biologiques et physiques comme un destin, une identité inéluctable, une puissance à laquelle on ne pourrait échapper.

Toutefois, même si l’approche phénoménologique qu’elle propose peut évidemment s’appliquer aux corps trans et non-binaires, le vocabulaire et les catégories que choisit et sur lesquelles s’appuient Camille F-M (corps féminin, les femmes et les hommes) s’inscrivent de fait dans une conception du monde qui reste marquée par la binarité. 

(…)

Parce qu’elle reste trop peu attentive à l’aspect excluant du langage et des catégories qu’elle emploie[7] mais qu’en même temps elle invite à une curiosité sans faille pour les corps dominés et leurs vécus spécifiques tout en échappant à une posture essentialiste, sa démarche est à la fois problématique et stimulante.

Une fois cette distance critique exprimée en effet, la réflexion de Camille F-M intéresse car elle oblige à continuer à se frotter aux catégories en question qui, même si elles ne sont au fond que des fictions, ont des effets bien réels. Comme l’écrit le réalisateur trans Océan à ce propos : « ce sont des fictions qui ont pris le pouvoir sur nos corps, nos existences, nos libertés, et nous oppressent en tant que groupes marginalisés »[8]. En ce sens, la catégorie du féminin telle qu’on se la raconte dans une société donnée a des conséquences bien réelles sur les vies de tou.te.s les humains : qu’ils.elles soient censé.e.s s’y conformer ou au contraire s’en tenir éloigné.e.s.

Via l’expression « corps féminins » la philosophe cherche à parler des corps de celles et ceux qui subissent la domination et les oppressions de genre parce qu’elles.ils sont considéré.e.s comme « des femmes » par la société (via la médecine d’abord, via l’interprétation stéréotypée de leurs expressions de genre ensuite). Elle parle en somme de tous les corps socialement perçus et définis comme féminins. (…)

Au final, l’apport le plus marquant des recherches récentes de Camille F-M dépasse la question épineuse « du » féminin pour s’ouvrir à tous les corps possibles et à la pluralité des identités. Il s’agit pour elle de mettre en lumière et ainsi de favoriser le « processus de construction de soi par lequel nous choisissons de faire de notre devenir corporel ce que nous voulons » grâce à une prise de distance critique sur les contraintes d’ordre biologique[9] et culturel qui pèsent sur notre corps. (…)

Qui nous sommes, qui nous devenons en tant qu’individu.e.s pleinement singulières.ers et « incarné.e.s » et par quels cheminements, c’est ce que Camille F-M propose précisément de nommer la sexuation. Autrement dit, que faisons-nous avec ce « donné » qu’est notre corps ? Comment composons-nous avec lui au long de l’existence tout en tenant compte sans cesse d’un second niveau de contrainte, non-biologique cette fois, celui des normes sociales et des catégories genrées ? Comment le positionnons-nous dans l’espace public et dans les relations aux autres ? Comment le transformons-nous (ou pas) ?

Il y a une double dimension d’émancipation et de trajectoire dans le processus que présente la chercheuse et donc dans l’usage qu’elle fait du mot « sexué » qui, ici aussi, fait que ses réflexions échappent aux assignations de genre, restent fécondes et entrent même, dans une certaine mesure, en résonance avec celles des mouvements queer.

Que se passe-t-il avec les corps (des femmes) ?

Ouverture de la Procréation Médicalement Assistée (PMA) à tou.te.s, mise en lumière de l’endométriose, dénonciation des violences gynécologiques et de la précarité menstruelle[10], dénonciation de la taxe sur les protections hygiéniques (re)découverte du clitoris,… : les actions et revendications portant sur les seins des femmes, mais aussi des hommes trans et personnes non-binaires, s’inscrivent dans une dynamique féministe intense et diversifiée autour du corps. Or, ce qui apparaît comme une évidence (les luttes des années 70, par exemple, n’avaient-elles pas placé elles aussi le corps -et la sexualité- au cœur de leurs enjeux ?) n’en est pas vraiment une.

Camille Froidevaux-Metterie observe en effet que le corps a fait son retour au premier-plan des luttes dans les années 2010 et surtout ces cinq dernières années après une (relative) éclipse d’une trentaine d’années. Les thèmes liés au corps et à la sexualité n’ont jamais réellement disparu des pratiques militantes ni, loin s’en faut, des études universitaires de genre, mais la philosophe fait l’hypothèse que le reflux dans l’engagement des jeunes femmes sur les causes féministes au tournant du siècle s’explique au moins en partie par une sorte d’effacement dans les combats-phares féministes des enjeux intimes, c’est-à-dire des questions liées à leurs corps concrets, faits de chair et d’os. (…)

Dans une certaine mesure, nous dit Camille Froidevaux-Metterie, tout s’est passé comme si les sujets corporels (maternité, sexualité, apparence) n’étaient plus considérés que comme des facteurs de soumission et d’enfermement, comme si la lutte et l’émancipation ne pouvaient passer que par la neutralisation (peu importe notre corps propre si nous sommes tou.te.s égales.aux en droits) ou le dépassement de ce corps-là et comme si les femmes étaient encouragées à faire… comme si elles n’avaient pas de corps.

Bien sûr, les femmes cisgenres et toute personne socialement perçue comme femme ayant été considérées, pendant des siècles, essentiellement comme des corps, « il fallait les affranchir de ce carcan pour leur permettre de devenir des individus de droits comme les autres »[11]. Mais « à nier les spécificités physiques des femmes, on les abandonne à ceux qui, eux, s’y intéressent pour faire leur profit »[12]. A commencer par l’industrie de la mode ou la chirurgie esthétique qui à la fois nourrissent et s’appuient sur les pressions sociales que subissent les femmes (qui en ont les moyens) à faire de leurs seins des objets immobiles aux formes parfaite…ment stéréotypées[13]. D’où l’importance de continuer d’observer et de réfléchir nos corps vivants, singuliers, genrés. Et notamment –mais pas seulement – nos corps perçus et/ou définis comme féminins. Une position curieuse et réflexive qui peut nous aider à reconnaître les pressions/contraintes plus ou moins fortes qui pèsent sur « nos corps et sur nous-mêmes » afin d’élargir les marges de choix qui sont les nôtres.

Dans cette optique, ce que suggère la chercheuse c’est que le retour fracassant des enjeux corporels à l’avant-plan des luttes féministes des années 2010 doit être vu comme une réaction à cette trop longue absence. Et que celles et ceux qui mènent ces luttes le font non seulement contre quelque chose, dénonçant ce qui doit l’être (notamment les violences sexuelles)[14], mais aussi de manière positive pour quelque chose, en assumant fièrement leur corps, non pas malgré ses singularités (de forme, de couleur, d’âge, etc.) mais grâce à elles. Ces thématiques et motivations féministes ne sont plus seulement liées à l’égalité en termes de droits et de statuts dans la sphère publique : elles ravivent et actualisent des questions liées au fait d’être non seulement un sujet de droit mais aussi un sujet concret impliqué physiquement dans une vie intime (amicale, amoureuse, sexuelle) et sociale. (…)

Des sujets libres d’inventer des façons d’être multiples et variées, mais toujours à partir d’un vécu incarné, c’est-à-dire d’une expérience corporellement située.

Le corps, ce résistant

Les luttes contemporaines « par et pour le corps », que Camille Froidevaux-Metterie nomme « la bataille de l’intime »[15], prolongent celles qui les ont précédées en dénonçant par exemple la publicité (sexiste) et les normes de genre qu’elle perpétue, ou le maintien de l’avortement dans le code pénal. Et dans le même temps, c’est par leurs façons d’être au monde dans ces corps-là et de donner sens à leurs existences via eux que se construit une émancipation par rapport aux relations de domination et aux normes de genre.     (…)

Des résistances à tout ce qui tend à faire des corps perçus et/ou définis comme féminins des corps « pour les hommes », des corps dominés.     (…)

Que les individu.e.s se présentent aux autres et à soi comme une femme, comme un homme ou en se définissant contre ou à côté de cette binarité, ce que l’on retient avant tout de Camille F-M et de sa phénoménologie féministe, c’est que leur démarche d’autodéfinition et d’autoconstruction, à la fois réflexive et expressive, à la fois individuelle et collective, est déjà résistance à l’emprise des normes de genre. C’est une démarche qui passe par une attention, une curiosité et une conscience qui permettent de gagner en connaissance de son corps et donc de soi : en décortiquant les contraintes biologiques (les spécificités du vieillissement, notamment) et sociales qui pèsent sur le corps, les façons « d’être en corps » qui nous correspondent, ce à quoi on aspire en termes de relations physiques aux autres humains et au vivant, …

Ce type de processus peut par exemple concerner les femmes afro-féministes dans leur rapport à leurs cheveux[16]. Mais pour terminer en revenant sur le cas concret des seins, un tel cheminement [peut] consister [comme c’est le cas pour de nombreuses (jeunes) femmes aujourd’hui] à réfléchir et à discuter sur des questions aussi précises que : Comment je me sens avec mes seins, comment je les vois, en quoi ils me ressemblent, qu’est-ce que je crois que je dois en faire (les mettre sous soutien-gorge? sous quel type de soutif? les montrer? à qui? dans quel contexte? etc.), d’où me viennent ces croyances? est-ce que je suis d’accord avec ces croyances? qu’est-ce que j’ai vraiment envie de faire? qu’est-ce que je risque si je le fais (seul.e? ou avec d’autres?) et quelles injustices et inégalités révèlent ces risques? qu’est-ce que je/qu’est-ce que nous décidons de faire à partir des réponses données aux autres questions?…

 

[1] C’est-à-dire ce qui est associé ou qui sert à la reproduction sexuée des humains et plus largement à leur vie sexuelle (donc au plaisir) : seins, vagin, clitoris, menstruations (donc aussi endométriose), utérus, ménopause, …

[2] On revient plus bas sur l’usage des termes « sexe » ou « sexué ».

[3] Discipline philosophique pour laquelle “l’accès à la connaissance du monde, de soi et des autres [est] indissociable du vécu corporel”, donc d’une “expérience qui est à la fois située et incarnée” Camille Froidevaux-Metterie, op.cit., pp.341-343.

[4] Philosophe politique et militante féministe étasunienne, 1949-2006.

[5] Marie Garrau et Alice Le Goff. « Différences et solidarités. À propos du parcours philosophique d’Iris Marion Young », Cahiers du Genre, vol. 46, no. 1, 2009, pp. 199-219 ;  https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2009-1-page-199.htm#re6no6 –les citations sont issues du point n°3. [consulté 15/12/2020].

[6] Une posture essentialiste cherche à revaloriser un “féminin-source de pouvoir” (notamment lié à la maternité) censé être présent en chaque femme et/ou considère que la différence sexuelle (biologique) explique de façon décisive des différences de compétences, de désirs, …donc de destins entre femmes et hommes.

[7] Quid par exemple des hommes trans pour qui leur corps n’est pas féminin ou de celleux qui ne se sentent ni masculin, ni féminin?

[8] Carole Boinet, “Transidentité, féminisme, violences policières: Océan fait le bilan de l’année 2019”, article publié en ligne le 18/12/19; https://www.lesinrocks.com/2019/12/18/actualite/societe/transidentite-feminisme-violences-policieres-ocean-fait-le-bilan-de-2019/ [consulté le 18/12/20].

[9] Au sens de ce qui est là, ce qui est un « donné » à la naissance et avec lequel on va devoir composer (un utérus, un clitoris, telle pilosité, tels cheveux crêpu,…).

[10] La précarité menstruelle touche en France près de deux millions de femmes, hommes trans et personnes non-binaires (500 millions dans le monde) qui n’ont pas les moyens de se payer des protections hygiéniques, ou pas en suffisance. Cette réalité concerne principalement les personnes sans abri, les étudian.te.s pauvres et, globalement, les plus précaires. Lire par exemple à ce propos https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/02/precarite-menstruelle-combien-coutent-ses-regles-dans-la-vie-d-une-femme_5484140_4355770.html [consulté le 17/12/20].

[11] Idem, p.15.

[12] Idem, p.370.

[13] Lire notamment Silvia Federici, « Refaire nos corps, refaire le monde ? », in « Par-delà les frontières du corps », Editions Divergences, 2020, pp.77-87.

[14] Que ce soit via #Metoo ou, à l’échelle locale, via par exemple les marches de nuit dénonçant le harcèlement de rue.

[15] « Le corps des femmes. La bataille de l’intime », Philosophie Magazine Ed., 2018.

[16] Lire par exemple à ce propos, Héloïse Husquinet et Emmanuelle Nsunda, « Un écho à la voix des femmes afrodescendantes. Entretien sur l’afroféminisme », Publications CVFE, 2018, https://www.cvfe.be/publications/analyses/72-un-echo-a-la-voix-des-femmes-afrodescendantes-entretien-sur-l-afrofeminisme-2

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