(é)Prise de parole

(é)Prise de parole

Raconter, dénoncer, imaginer...et passer à l'action

J’ai essayé pour vous : la ligature des trompes

1 juillet. 7h30. Hôpital de jour des Bruyères.

Ça fait des années que j’y pense.    

Ça fait des années que je travaille à me dégouter de tout type de contraception, celle qui joue avec ton équilibre hormonal et celle qui t’accroche des trucs inesthétiques dans le fond de ton vagin.

J’aime pas qu’on touche à mon corps. Je crains le moindre médoc, le moindre vaccin, la moindre opération.

Je me sens très vulnérable. Très fragile. Très sensible. J’ai des épisodes réguliers de maladie assez traumatisants. Car je suis une éponge. Et tout agent extérieur qui se confronte à mon corps constitue une menace. Une angoisse.

Ça fait des années que je me dis que je n’aurai jamais d’enfants. Pour les mauvaises raisons. Parce que je me sens incapable de m’occuper d’un être aussi complexe. Je me sens pas les guts. Je sens déjà très fortement que je ne sais pas m’occuper de moi et m’accorder une vie suffisamment décente. Une vie suffisamment digne. Comment pourrais-je infliger la vie et mon « soutien » à un être qui aura tant besoin d’être aiguillé dans ce monde de merde. Bon ok, dans ce monde complexe et sinueux, fait de challenges et parfois de gros coups de poing dans la gueule. Et, pour les plus chanceux·ses, de moments erratiques de joie.

J’ai 36 piges. La plupart de mes relations sont des catastrophes planétaires. J’ai avorté l’année passée. (C’était désagréable.) Après m’en être un peu remis·e, j’ai contacté le planning Contraception, je leur ai demandé le contact d’une gynécologue qui te fait pas chier. Un mois plus tard, j’étais à son bureau pour confectionner mon opération de stérilisation. Et de fait, elle m’a pas fait chier. Elle était même sympa.

J’ai jamais été convaincu·e à 100%. « Parce qu’il y a que les cons qui ne changent pas d’avis. » Et ces derniers jours, j’étais particulièrement pas convaincu·e. Parce que leur bonheur, la maison, le mari, le gosse et le jacuzzi (je supporte pas les jacuzzi), c’est quand même le plus accessible. Pour moi. Parce que j’aurais (peut-être) pu si j’avais voulu. Maintenant je le veux peut-être mais il n’est plus une réalité possible. J’ai pris la pilule mauve et noire, et ça me bouffe mon existence. D’autres choses me bouffent, me rongent, et elles auraient un impact moindre si j’arrivais au moins à les identifier et à les cerner un minimum. Suis paumé·e. (Non, j’déconne.) Je supporte pas ce mot, ce pseudo-diagnostic qui ne cherche qu’à t’enfoncer. Encore plus bas. Comme si le marasme dans lequel tu baignais était pas suffisamment casse-couilles.

On est quelques jours avant l’intervention. Je suis de moins en moins convaincu·e. C’te méthode « radicale » me fait flipper. Je vais changer radicalement après qu’on m’ait trituré·e, enfoncé des pinces dans le ventre et écrabouillé avec des objets non identifiés mon appareil reproducteur. Je vais perdre mon super pouvoir. Je vais perdre la carte bébé-famille-relation unique avec un être qui te ressemble et avec lequel une connexion humaine serait enfin envisageable.

Je suis qui je suis. Ce choix de vie n’est pas le mien.

Mais je flippe. La société me dit que je ne suis pas normal·e. Pas adapté·e. Que tout sort de merde qui m’attend, ce sera bien fait pour ma gueule qui n’a jamais fait les bons choix. (J’ai changé de bord, je te préviens au cas où, j’suis plus existentialiste.) Tes choix, Sartre, qui te définissent, n’en sont pas toujours. Alors arrête un peu avec tes conneries.

Je suis pas convaincu·e mais je suis les étapes prévues. Je me suis fait défoncer le nez pour prouver ma pureté virale. J’ai demandé à ma moman de me conduire à l’hôpital. J’ai suivi scrupuleusement et machinalement le script.

Jour J. Lever partiellement difficile mais acceptable à 6h du mat’. Mon ami lumineux a tenu à me soutenir en ce jour très spécial. J’ai assez bien géré mon rituel matinal et n’ai engrangé que sept minutes de retard, comme ma génitrice qui s’est appliquée à ce que le départ pour le bistouri ne soit pas trop chaotique. Elle était stressée. Je l’étais aussi, pour d’autres raisons. J’ai hésité à partir en crise d’angoisse, en pleurs et en drama. Mais il était 6h38 et la journée promettait déjà d’être longue et peut-être éprouvante. Donc j’ai mis de côté cette stratégie. Me suis juste permis d’avoir la boule au ventre jusqu’à l’entrée à l’hôpital de jour (après avoir salué le service gynécologie qui m’a plus ou moins aidé·e ensuite à m’orienter vers la salle d’op et le rituel pré op, qu’est pas nécessairement hyper fun.

(Cette bande de chacal·es ☺ m’ont filé un médoc qui commence à assommer mon cerveau et rend la tâche d’écrire conséquemment plus physique.) Fuck. J’ai une mémoire de poisson, le compte rendu de la suite va être bien plus ardu après qu’on m’est drogué·e jusqu’au coma. Pause. La migraine fulguramment montante est incongrue et non bienvenue. Tantôt.

2 juillet. 15h56. Mon lit.

Après un xanax, une dose maximale de morphine, un zaldiar, un paracétamol et 23 heures de sommeil, je tente de reprendre mon récit.

Après ça s’est enchainé. Dans le désordre : Je me sens pas hyper bien. Arriver à l’aube dans un hôpital qui sent la mort, qui te rappelle les pires souvenirs, te met pas nécessairement dans le confort. Alors j’essaie de mettre en marche mon rituel habituel : regarder des séries à la con. Je demande le mot de passe wifi, on m’envoie bouler. « Vous allez être opérée, madame. Je n’ai pas le temps. » Me sens vexé·e. On me prive de ma seule came. J’aime pas sa première phrase. Je comprends évidemment sa seconde qui me rend dingue. J’ai pu observer des infirmières stressées constamment en mouvement ne pouvant pas toujours s’occuper hyper bien des patient·es. Merci l’État. Suis en colère vis-à-vis de moi aussi, parce que j’ai souvent tendance à me mettre au centre des choses. Et je râle parce qu’elle me parle vite, parce qu’elle me regarde pas dans les yeux, alors j’arrive pas à suivre. D’autant que j’ai pas mes appareils auditifs. Quand plus tard, je lui dis que je vais les mettre, elle se métamorphose et me parle comme on parle aux vielleux de 80 ans. C’est humiliant.

Elle me dit de retirer mon vernis, que je me suis motivé·e à mettre durant 5 semaines. Outrage ☺: Elle me rase la chatte à moitié. Outrage ☺: Elle m’aide à me laver et me dit ensuite d’enfiler leur horrible robe qui se détache en moins de deux et qui montre toujours les parties de ton corps les moins coquettes. Supporte pas de mettre des vêtements qui sont pas les miens…

Elle check mes infos. J’arrive plus ou moins à lui répondre.

La femme âgée à ma droite (on est dans une chambre de 4) se plaint régulièrement, enfin du moins je crois, en sifflant des sons chelous. Et je lui en veux. Parce qu’elle me renvoie à ma propre vulnérabilité. Et on a pas le droit de se montrer vulnérable.

Je pars bientôt en auto-tamponneuse, après qu’une collègue de chambre soit partie avant moi. Et ça c’est fun les auto-tamponneuses ! Mais le chemin est court et j’arrive bientôt dans la salle d’op, dans laquelle on me dit de patienter toujours couché·e dans mon bolide. A ma gauche, des dessins d’enfants, avec dans un mot écrit en grand une ridicule faute d’orthographe : « MECRI ». Et à ma droite, des cris, des cris et du passage. On me dit enfin de m’installer sur leur engin de torture. Pas une table d’op mais un truc bien plus inconfortable. On me fout à poil. Je dis que j’ai froid. On me met une couverture en plastique gonflée ⍨  sur moi. Puis ça s’enchaine très vite. Trois infirmières s’affairent sur moi. On m’explique rien et on me dit juste rapidement sans essayer d’être intelligible ou sympa de lever mon flanc gauche et mon flanc droit pour me mettre des trucs chelous dessous. On me démolit la main droite pour m’enfoncer leur gros machin (elle me tape littéralement dessus pendant plusieurs minutes) et en clôture on me fout l’engin sur le nez et la bouche qui va me faire partir. Sans me prévenir bien sûr. Et sans avoir vu au préalable un·e quelconque médecin·e. Alors qu’à ce qui parait iels étaient trois. Je sens ma tête tourner, c’est désagréable, et je ne me sens pas partir. Et pourtant.

Le réveil. Oh surprise, ce qui devait être une opération bénigne et non douloureuse, se révèle être pour moi un nouvel enfer. Des douleurs atroces. Je n’arrive qu’à prononcer en boucle le mot « mal » et entend plus tard qu’on m’a administré la dose maximale de morphine, tandis que je continue à souffrir le martyre. Heureusement, quelques minutes plus tard les douleurs deviennent plus tolérables et je peux m’envisager une seconde vie. On me ramène dans ma chambre en auto-tamponneuse. C’est moins fun. Et je m’autorise à sombrer à nouveau dans le sommeil. Je délire tout l’après-midi à cause de la morphine et vis 1000 histoires qui fusent à chaque stimulus extérieur et intérieur. Désagréable. Puis les douleurs diminuent au fil de la journée. Ma moman vient me chercher avec une chaise roulante (fun) puis je m’en vais sombrer dans mes propres draps rue Reynier.