(é)Prise de parole

(é)Prise de parole

Raconter, dénoncer, imaginer...et passer à l'action

« En marche ! »… pour une révolution féministe *

J’ai reçu aujourd’hui un article, relayé par le blog de l’Entonnoir (D’une Certaine Gaieté) d’un des organisateurices de l’Accueil de la Délégation zapatiste (voir article du Blog), Thomas de Roubaix, sous le pseudonyme Diego del Norte.

 

Dans «Le peuple des montagnes qui n’a jamais cessé de marcher (et de danser) », il raconte qu’il a participé avec de nombreux autres jeunes à une « longue marche » reliant Qamichli (capitale de la région autonome du Kurdistan syrien) à Derik en Turquie, inscrivant cet événement dans l’historique des marches en faveur de l’autonomie du Rojava libertaire, mais aussi celles des Kurdes et des Arabes du Rojava qui « marchent aussi, depuis des années, pour dénoncer les agressions turques qui cherchent à détruire purement et simplement cette expérience unique d’autonomie démocratique. » (Diego del Norte)

 

QU’EST-CE QUE LE ROJAVA LIBERTAIRE ? Pourquoi suscite-t-il l’intérêt des militant.e.s du monde entier ?

Dans une analyse que je publierai bientôt sur le Blog, je traite des violences faites au corps des femmes engendrées par le CAPITALISME PATRIARCAL, système caractérisé par des dominations où s’imbrique celle des riches sur les pauvres, celle des hommes sur les femmes, et celle « du Nord sur le Sud ». J’y envisage comment ce système, depuis les 1ers Conquistadores et à travers le monde, a particulièrement tenté de soumettre les femmes dites « racisées »[A] et autochtones[B].

J’y parle plus spécifiquement des femmes autochtones des Amériques, mais aussi de celles issues de la Traite « atlantique », système de vente d’esclaves noir.es triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, qui connut son apogée au 18è siècle[C]. Un autre point commun liant ces femmes est qu’elles font en grande partie de peuples ayant conservé une vision non-dualiste de la nature[D], qu’ils considèrent comme leur Terre-Mère, et dont les humain.e.s ne sont pas distinct.e.s. À l’inverse de la distinction entre humain.es et nature qu’introduisit et conceptualisa le dualisme cartésien dans la tradition philosophique occidentale (Descartes décrivait dans le Discours de la Méthode[E] « la nature et les animaux comme des choses « inertes », et donc exploitables. »[F]).

POURQUOI FAIRE ICI LE LIEN AVEC CET ARTICLE TRAITANT DE LA LUTTE DU PEUPLE KURDE  ?

Le peuple kurde n’est pas un peuple autochtone!

Néanmoins, ses ancêtres -le peuple mède- étaient installés depuis le VIè siècle sur les terres que les Kurdes occupent aujourd’hui, ce qui ancre ce qu’on nomme le « Kurdistan » (territoire mythique, sans frontières reconnues, même s’il représente une nation de 30 à 40 millions d’habitant.e.s) dans la longue histoire d’un large territoire qui couvre aujourd’hui des parties de la Turquie, de la Syrie (le Rojava) de l’Iran et de l’Irak actuel.le.s. Seuls ces deux derniers pays lui reconnaissent un statut politique autonome. La Turquie d’Erdoğan et la Syrie d’al Assad ont au contraire tout fait pour saboter la révolution qui y était en marche (la Turquie en emprisonnant pour « terrorisme » le leader du PKK, Abdullah Öcalan. Les deux en massacrant la population kurde lors de la tristement célèbre bataille d’Afrine[G]).

L’histoire du « Rojava libertaire » est longue et complexe à expliquer[H], mais on peut résumer son projet politique -le COMMUNALISME KURDE– à pouvoir choisir son mode de gouvernance (autodétermination), en prenant des décisions « par le bas », c’est-à-dire au niveau local et sous un mode de démocratie directe. Mais aussi surtout à bannir tout mode hiérarchique, toute domination des riches sur les pauvres, des hommes sur les femmes, des vieux sur les pauvres, ou d’une ethnie sur une autre… Mais aussi des humains sur la nature !               

C’est en cela qu’on peut comparer leur projet révolutionnaire d’autodétermination politique à celui des Zapatistes du Chiapas … 

Deux projets profondément respectueux des humain.es dans toute leur diversité, mais également des écosystèmes. Deux projets qui s’avèrent en lutte contre l’autoritarisme d’état et contre la hiérarchisation des travailleur.se.s induite par notre système néolibéral et le capitalisme patriarcal qui le sous-tend.

 

EXISTE-T-IL UN FÉMINISME KURDE ?

Une autre spécificité de ce mouvement kurde révolutionnaire, est que le féminisme y occupe, tout comme chez les zapatistes, une place centrale et décisive : « le féminisme pour le PKK n’est pas seulement un objectif mais une méthode dans le processus de libération. »[I] Car cette option politique s’est fondée sur une réflexion sur des formes de vie égalitaires, antérieures au capitalisme et au patriarcat, à l’instar des communautés d’avant la modernité : communautés majoritairement paysannes vivant d’une économie de subsistance, dans lesquelles les femmes jouent encore un rôle central.

Dans le communalisme kurde, la société est divisée en cantons dans lesquels chaque assemblée populaire (« Maison du Peuple ») désigne son organisation politique et administrative propre. Ils ont la gestion des écoles, de l’économie, du travail, de la redistribution des ressources et de la défense du canton. La répartition égalitaire entre hommes et femmes y est scrupuleusement respectée : chaque fonction dans les organisations de la société civile et politique est systématiquement co-présidée par une femme et un homme. Par ailleurs, les femmes ont des commissions non mixtes pour travailler sur l’anti-patriarcat.   

                        (…) pour lire la suite de l’étude sur l’ÉCOLOGIE SOCIALE traitant notamment du féminisme kurde pages 24 à 28 …

                                                                                                C. P.   *


 

[A] « Si, bien évidemment, la « race » n’existe pas, des groupes et des individus font l’objet d’une « racisation », c’est-à-dire d’une construction sociale discriminante, marquée du négatif, à travers l’histoire. », in F. VERGÈS, Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, Paris, Albin Michel, 2017, p.16. Mélusine, journaliste, donne également cette définition « située » : « Le terme « racisé » désigne les personnes perçues comme appartenant à une catégorie raciale minoritaire. Il permet de révéler l’assignation raciale non pas comme une qualité de l’être, mais comme un processus social systémique et quotidien. », in MÉLUSINE, « Le dilemme de Cologne. Quel espace politique pour les femmes racisées ? », Panthère Première, N°1, automne 2017.

[B] « Les peuples autochtones ou aborigènes sont ainsi dénommés car ils vivaient sur leurs terres avant que des colons venus d’ailleurs ne s’y installent. Ils sont – selon une définition – les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l’époque où des groupes de population de cultures ou d’origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l’occupation, la colonisation ou d’autres moyens. », in « Fiche d’information No.9 (Rev.1) Les droits des peuples autochtones » du Haut-Commissaire aux droits de l’homme/Centre pour les droits de l’homme.

[C] S’il ne s’agit pas à proprement parler des mêmes phénomènes, les femmes afro-américaines ont néanmoins en commun avec celles autochtones le fait d’avoir subi le contrôle de leur corps en tant que femmes racisées (appropriation violente allant du « contrôle de leur ventre » -autant pour fournir de la main-d’œuvre que pour limiter les naissances- à leur exploitation économique et sexuelle).

[D] C’est-à-dire qui ne sépare pas les humain.es de la nature, mais les considère au contraire comme faisant partie de cette dernière.

[E] R. DESCARTES, Discours de la Méthode, 1637.

[F] C. PAHAUT, Si les écoféminismes m’étaient contés… Rencontre avec Anne Borlée & Les Tisseuses d’Obscur, Publications du CVFE, décembre 2019, p.8. Ce qui est savamment expliqué in S. FEDERICI, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Paris, Éditions Entremonde (pour la traduction française), 2014.

[G] Pour bien comprendre, malgré sa complexité, ce qu’est le Rojava et son aspiration révolutionnaire, lire C. PAHAUT, Écologie sociale. De la protection de la nature à l’émancipation sociale, la place qu’elle réserve aux luttes féministes, Publications du CVFE, décembre 2020.

[H] BOUQUIN, M. COURT et C. DEN HOND (sous la direction de), La Commune du Rojava. L’alternative kurde à l’État-nation, Paris, Editions Syllepse/Critica, 2017, p.9.

[I] Offensive lancée le 20 janvier 2018 par l’armée turque et les rebelles syriens de l’Armée syrienne libre contre les forces kurdes des YPG, avec l’objectif de chasser ces derniers de la ville et de la région d’Afrine, sous leur contrôle depuis 2012. Au cours de la bataille, les Kurdes opposent initialement une forte résistance, mais l’armée turque finit par prendre l’avantage grâce à son artillerie lourde et ses frappes aériennes. Abandonnée par sa population, la ville d’Afrine est prise presque sans combat le 18 mars 2018 par les Turcs et les rebelles syriens. [Sources Wikipédia]