de Virginie Godet
À chaque manifestation féministe, certains se croient investis de la mission de nous rappeler pourquoi on se bat. Comme si nous risquions de l’oublier ?
Ce 27 novembre 2022 n’a pas dérogé à la tradition. Une grande cuvée clarificatrice du projet de conservation des privilèges, vécue à travers des interactions aussi banales finalement que les inégalités et violences contre lesquels nous luttons au CVFE. De genre, de race, de classe…
Avant de monter dans le train en gare de Liège avec les femmes et les enfants du refuge, une bénévole avait déjà été prise à partie par un quidam offusqué par les pancartes courageusement portées par les survivantes. Motif : Nous serions sexistes. Certes nous partions battre le pavé contre les violences conjugales, mais nous ne le ferions pas assez spécifiquement pour les hommes qui en vivent aussi.
Mais c’est pas tout … Après avoir traversé les rues les plus désertes de la capitale (il ne faudrait quand même pas gêner la circulation des SUV ni le tourisme) sur un circuit éclair (la plateforme Mirabal-Belgium ayant été priée par les autorités de terminer son tour de piste plus tôt que prévu initialement, pour permettre à la police de s’occuper du vrai problème de cette journée- qui n’est pas le féminicide, mais la gestion des débordements des supporters de football-) nous reprenons enfin le chemin de la gare, en femmes fières, quoique la voix éraillée et un rien fatiguées.
Et c’est là que c’est pas tout …
Virginie, une membre de nos ateliers et écrivaine, vous raconte la suite dans son style, qui contient aussi plusieurs points d’ironie…
Chronique ferroviaire de retour de manif
Or donc, Camarade bourgeois ! Alors comme ça, mon petit monsieur, on n’aime pas fréquenter les gueux, en l’occurrence, des gueuses ?
« Alors que le train est bondé à la Gare Centrale, mais bondé bien bien, genre tu vois « bourré massak » comme on dit chez nous, on demande tout à fait poliment à l’accompagnatrice de pouvoir se « surclasser » en 1ère, ce qu’elle nous accorde de toute bonne grâce. Il y reste à peine quelques places, d’autres manant·es ayant probablement déjà investi l’espace réservé à l’élite, au grand dam de celle-ci.
Un ci-devant n’entend manifestement pas libérer la place qu’il venait de royalement accorder à… son sac, qui trône à côté de lui !
Il refuse à une première d’entre nous, la plus âgée en grognant : « It’s first class here » (ah bah oui, Ruby, elle vient de l’Île Maurice, elle est créole quoi… donc elle ne peut que se tromper de classe. Peut-être même qu’elle ne comprend pas le français, hein).
Une deuxième lui demande s’il a payé aussi pour son sac. Là, il nous sort un air de poule indignée (tutafay, un homme peut avoir une tronche de poule indignée, l’un n’empêche pas l’autre). Comme elle argumente, il explique doctement qu’il libérera la place quand le contrôleur sera passé pour le rembourser, parce que, fi donc ! Il a justement payé pour ne pas se faire envahir par la populace… (Bullshit : la SNCB ne pratique pas ce genre de dédommagement, mais comme ça ne lui coûte rien d’essayer, il tient bon envers et contre toutes. )
Mais pas tous !
Quand ensuite c’est un baraqué, attiré par le ton qui monte qui ne fait ni une ni deux et vire l’aristocratique sac … pour en prendre la place. Hop, là, le rupin fait moins le malin.
Quant au baraqué, peu lui importe si on s’était battues pour cette place. Vae Victis : Mort aux vaincues ! Il s’installe sans plus nous calculer… On n’est pas dans un roman picaresque, icey !
Petit, petit, touuuut petit môssieur de la place 86 dans ce wagon de première classe, t’es qu’un pâle type. Un pâle type qui n’est pas foutu de faire « contre mauvaise fortune bon coeur » quand on s’écrase les uns les autres dans un train plein à craquer.
Un pâle type qui fait valoir les droits de son fric quand il s’agit de bonnes femmes, mais qui la ferme devant plus grand et plus fort que lui.
Tout propre sur toi que tu sois, t’es pas beau à voir…
Et, autant que tu saches, mon lapin… Demander le sur-classement : ça, c’est permis vu les circonstances. Par contre, une place pour ton sac : ça, c’est pas permis. C’est ballot hein ?
Et puis on voudrait qu’on calme nos ardeurs révolutionnaires ? Mouhahahahahahaaaaaaaaaa »